A la recherche du Pays des Merveilles, Histoires de Trevoux
VIII
Cette année là, le printemps arriva plus tôt que prévu, les bourgeons étaient sur le point de déployer les feuilles des arbres, les insectes bourdonnaient dans l'air et les oiseaux étaient revenu du grand sud pour faire des nids sur les collines du Beaujolais. Par la route étroite, qui menait à travers vallées et pics escarpés jusqu'à la capitale de la principauté - Beaujeu, montaient à cheval trois messagers extraordinaires, un prêtre, un moine et un chevalier, qui discutaient nerveusement en gesticulant. Le chevalier s'appelait Jean et il ne venait pas d'une famille aisée, mais il était bien éduqué et le seul à avoir une arme, ce qui lui servait encore et encore dans la discussion, prétendant qu'il tirerait son épée dans un instant. Pour ses compagnons, étonnamment, c’était un véritable argument grâce auquel ils lui permettaient de parler. L'autre cavalier était frère Jacque, un moine de l'Ordre des Frères Mineurs de Lyon, qui était si maigre qu'on pouvait presque voir la blancheur de ses pommettes à travers sa peau, mais il était toujours de bonne humeur. Le troisième cavalier était le père André, curé de Notre-Dame-des-Marais à Villefranche, un homme âgé et sérieux dont l'apparence suggérait la dignité épiscopale, ou du moins une cathédrale universitaire, et non un modeste poste de curé d’une petite ville.
Les trois messagers extraordinaires étaient en fait des envoyés du conseil de Villefranche auprès de la princesse Anna de Beaujeu, qui, selon des informations de sources honnêtes, se trouvait à ce moment-là dans la capitale du Beaujolais, Beaujeu. La princesse Anne était devenue ces dernières années une femme exceptionnellement puissante qui a non seulement gouverné avec son mari Pierre les grands domaines Bourbon, mais aussi pendant près de dix ans toute la France au nom de son frère mineur, le roi Charles. Elle est l'auteur de la paix d’Etaples, signée par le roi Henri d'Angleterre, qui marque la fin de la guerre de Cent Ans. C'est pour cette raison, ainsi que pour sa piété bien connue, qu'elle fut appelée la seconde Jeanne d'Arc.
- S'il vous plaît, ne me blâmez pas pour quelque chose que je n'ai pas dit. - expliqua le chevalier Jean. - Je suis la dernière personne à être accusée de manquer de respect aux femmes, je voulais juste dire qu'elles sont par nature plus méfiantes et pointilleuses que les hommes. Prenons l'exemple d’Ève, la biblique. Elle n'a pas mangé la pomme que le serpent lui donnait tout de suite, elle a d'abord parlé au serpent, écouté ses arguments. Et Adam lui ne dit rien. Elle lui a donné et lui à pris, sans réfléchir et sans aucune question.
« Alors maintenant, c’est de nous les hommes dont vous allez mal parler ? » demanda Jacque le moine en levant les mains au ciel.
- Encore une fois, ce n'est pas mon idée. – Déclara le chevalier Jean. - J'entends par là seulement qu'avec notre demande nous devons aller au Seigneur le plus serein, le Prince Pierre, plutôt qu'à sa femme. La princesse Anne, comme l'Ève biblique, examinera la demande, méditant et réfléchissant de tous les côtés, elle aura besoin de beaucoup de temps pour enfin dire que l'argent ne sera pas trouvé. Je préfère parler à un homme qui prend des décisions rapides. Elles ne sont peut-être pas aussi réfléchies ou prudentes, mais nous aurions de meilleures chances d'obtenir une réponse positive. Après tout, un sourire d'Eve a suffit, elle fit un clin d'œil à Adam, lui attrapa la main et la pomme fut mangée. Sans délibération, réflexion ou recherche de cause à effet.
« Comment pouvez-vous être sûr que la princesse refusera ? – L’interrompit le curé. - après un examen approfondi de la question, une réponse positive peut également être obtenue.
- Bien sûr, la princesse Anne acceptera de nous donner 5 000 livres pour la construction de la façade de notre église. Dit le chevalier Jean d'un ton sarcastique. -Parce qu'elle a trop d'argent. Et peu de besoins plus sérieux. Peut-être que si on lui demandait cet argent pour renforcer les murs de défense... Ou pour construire un pont sur la Saône, peut-être serait-il plus facile pour elle d'accepter...
« Vous vivez dans un autre monde, mon seigneur. dit frère Jacque. - Depuis quand les besoins matériels sont-ils plus importants que les spirituels ? Peut-être que vous voulez aussi plus prendre soin de votre propre estomac que de savoir si votre voisin meurt de faim ? Si vous voulez d'abord construire des murs, des châteaux ou des bastions, soyez prudent car vous les construirez sur du sable. Tout d'abord, vous avez besoin d'une base solide pour la construction, mon cher.
- Vous avez bien parlé , frère Jacques. - Il fut loué par le curé, le père André. - Des fondations solides, construites sur le roc. Et laissez-les rire de ce qu'ils ne comprennent pas. Ils se sont également moqués de Noé pendant cent vingt ans car il construisait une arche dans le désert. Ils sont nés et mariés, mais ne sont pas entrés dans l'arche au moment du déluge.
-Mon Père, dit le chevalier Jean. "Je ne doute pas de nos intentions, mais de la bonne volonté de la princesse Anne." Je ne suis pas convaincu qu’une femme donne facilement l'argent qu'elle a certainement dépensé pour la construction d'un hôpital, d'une forteresse ou d'une maison des pauvres.
- Et je n'en doute pas. dit le père André. -À une autre époque, personne n'aurait pensé à ériger de puissantes cathédrales, que les ducs tailleraient pierre par pierre de leurs propres mains et les traîneraient sur le chantier. Autrefois, les gens construisaient des tavernes pour se bourrer le ventre et des thermes pour tremper leur fesses dans de l'eau tiède. Aujourd'hui, nous vivons à l'ère des sages qui savent ce qui est bien et ce qui est mal.
" Puissiez-vous avoir raison, mon Père, qu’Il vous entende... " dit frère Jacques en hochant la tête.
* * *
Il faisait nuit lorsque les trois cavaliers arrivèrent au château de Beaujeu, mais la princesse Anne accepta de les accueillir malgré l'heure tardive.
- Et pourquoi devrais-je accepter de construire la façade de votre église ? Demanda la princesse lorsque les envoyés firent leur demande. -Savez-vous combien de paroisses je gère ? Il y a plus de trois cents églises rien que dans le Beaujolais, et ce n'est qu'une parcelle de terrain qui est sous mon contrôle.
- Nous savons, madame, quelle fortune vous avez à gérer. dit le père André. - Cependant, nous avons du mal à agrandir l'église, qui n'est pas suffisante pour la population de Villefranche. Permettez-moi de vous rappeler que les sire de Beaujeu ont fondé notre ville et qu'ils se sont juré d'en prendre soin pendant les siècles suivants. Avec nos propres efforts, nous avons réussi à agrandir l'église, ajouter des nefs et ériger des tours. Nous demandons uniquement de l'aide pour la décoration de la façade.
- Et vous n'avez pas des besoins plus urgents ? demanda la princesse. -Les murs de la ville sont terminés ? Et l'hôpital ? Et l'école paroissiale ?
« Les païens se soucient aussi de ces choses, ma Dame », a dit frère Jacques. "Mais nous savons qu’il faut commencer par la fondation. Laissez les autres construire des murs, des tavernes et des magasins."
- C'est vrai, brillante dame. - dit le chevalier Jean. - Il y a des peuples pour qui le plus important est d'acheter, de se faire plaisir ou de prendre soin de leur santé, comme s'ils ne mourraient jamais. Nous ne voulons pas construire sur le sable.
- C'est ce que je voulais entendre. dit la princesse Anne en se levant du trône. - Je suis contente que les habitants de la ville où je vais vivre soient si respectables.
— Vous envisagez donc, Madame, de déménager avec la cour à Villefranche ? C'est une grande nouvelle ! Cria le chevalier Jean.
- La construction du siège et le transfert de l'ensemble du manoir prendra un certain temps. Avant cela, je veux que votre église ait la plus belle façade gothique de tout le Beaujolais.
- Cela signifie-t-il que nous aurons les 5 000 livres de votre part pour sa construction ? demanda le curé.
- Vous obtiendrez 20 000 livres. Je sais aussi ce que signifie construire sur le roc.
* * *
La princesse Anne de Beaujeu a officiellement déplacé la capitale du Beaujolais à Villefranche en 1514, et en 1532, la décision d'Anne a été officiellement reconnue par le roi François II.
