top of page

A la recherche du Pays des Merveilles, Histoires de Trevoux

Dernière mise à jour : 22 avr. 2022

XIII


L'abbé Guillaume savait dès le début qu'il ne resterait pas longtemps à Trévoux, même si la proposition du curé était tentante. Il aurait aimé passer les années restantes dans cette petite ville tranquille, mais il sentait que son moment de repos n'était pas encore là. Quelques mois plus tôt, il était une personne très puissante en France, directeur de la Bibliothèque royale, membre de l'Académie française, ami et ancien professeur du roi Louis XVI. Tout le monde devait compter avec sa plume acérée, qui pouvait claquer comme un fouet. Mais le fouet atteindra-t-il Voltaire ou Rousseau depuis l'étranger ?

Le père Guillaume, alors qu'il était à Paris, reçut une invitation d'Offenbourg, dans le Saint-Empire romain germanique. Les jésuites locaux avient demandé de l'aide, car après la guerre de neuf ans, lorsque la ville et le monastère avaient été complètement détruits, les habitants reconstruisaient la ville avec beaucoup de difficulté. C'était un endroit au carrefour des routes modernes de la chute de la civilisation - la Suisse avec son calvinisme au sud, les Pays-Bas avec le puritanisme au nord, l'Allemagne luthérienne à l'est, et juste de l'autre côté de la frontière, derrière le Rhin à l'ouest, toujours la France catholique, qui allait sombrer d'un jour à l'autre dans le chaos. Offenbourg était une ville tranquille, mais très intéressante pour l'érudit père Guillaume. En paix, il pourrait se consacrer à achever "l'Histoire de l'Eglise de Gaule", commencée par ses anciens maîtres. Il sentait qu'à l'ère du déclin, dans ce nouveau Moyen Âge qui approchait à grands pas, il devait au lieu de se battre, essayer de préserver le maximum de la culture qu'il connaissait. Il se sentait comme Beda Venerabilis, écrivant seul l'histoire du christianisme en Angleterre au VIe siècle, alors que le monde entier était plongé dans les ténèbres. Il sentait que ce n'était qu'ainsi qu'il pouvait servir une humanité stupide. Il devait s'exiler afin de travailler seul pour les générations futures, qui se révéleront peut-être plus intelligentes, mais aussi pour observer à distance l'évolution des événements et, le cas échéant, agir une dernière fois.

Après dix ans de travail sur l'histoire de l'église en Gaule, son ancien élève, le roi Louis XVI, lui permis de retourner dans sa patrie. Il s'installe à Bourges, où il décèda peu de temps après. Le père Guillaume ne vécu pas assez longtemps pour voir la Révolution, ni les années de véritable chaos qui suivirent.

"Alors vous partez mon père après tout ?" Demanda tristement la femme du gouverneur de la Dombes au père Guillaume.

- Oui, merci pour votre hospitalité, mais je me sens maintenant appelé à d'autres responsabilités. Répondit le père Guillaume calmement. –Les temps difficiles arrivent et nous devons nous y préparer. -

"C'est pourquoi je me sentirais plus en sécurité avec mon père à mes côtés." dit le gouverneur avec un large sourire. - Que va-t-il se passer maintenant ? Vous mon père, en tant qu'expert en politique, êtes-vous capable de prédire ce qui va se passer ensuite ? –

- Je ne suis pas un clairvoyant, mais un modeste prêtre, et mes prédictions ne sont basées que sur une pensée de bon sens. D'ici quelques années, voire une dizaine d'années, je m'attends à ce que les "philosophes" parviennent à convaincre l'opinion publique à tel point qu'ils obtiendront une reconnaissance absolue parmi le peuple qui, à un signe donné, descendra dans la rue détruire et voler tout ce qui rappellerait l'ordre ancien. Une foule manipulée qui est persuadée d’être utilisé depuis des siècles va facilement se soulever pour provoquer la vengeance qui lui tiens à cœur. Il y aura certainement un soulèvement et un coup d'État, et je crains le pire - un meurtre contre les élites de l'État, donc toutes les personnes éduquées - le clergé, l'aristocratie, l'intelligentsia et peut-être même le roi lui-même ...

"Qu’est-ce que vous dites mon père ..." se demandait la femme du gouverneur. - Qui oserait lever la main sur des prêtres, ou sur sa majèsté ?

- Mais oui. De telles situations se sont déjà produites dans l'histoire. dit tristement le père Guillaume. - Lorsque les nouveaux barbares détruiront l'ancien système, il faudra en construire un nouveau ... Et ce sera la chose la plus difficile, voire impossible, car comment mettre de l'ordre dans le chaos? Pour cela, il faut beaucoup d'essais et d'erreurs, et donc de sang et de têtes décapitées. Finalement, les gens se lasseront de tout cela et laisseront un leader charismatique prendre le relais. Entre-temps, une nouvelle génération de personnes sans identité grandira, aspirant à la stabilité, il faudra donc créer une nouvelle tradition, basée sur d'anciens schémas non associés à l'Église ou au pouvoir des Bourbons. Un empire verra probablement le jour qui sera dirigé par un autoproclamé comme Charlemagne ou César. Mais ce peuple qui prétendrait être des Romains éclairés dans l'âme restera malgré tout barbare. Car après avoir goûté au sang et à la vision de têtes décapitées, elle regrettera les temps du chaos. Je prévois donc que ce noble empire ne survivra même pas à une génération et que le souverain finira misérablement. Puis viendra le temps pour d'autres pays dont les peuples, comme les Français, commenceront à se rebeller, il faudra donc les contraindre à se soumettre par la force. Mais il sera trop tard pour toute notre civilisation, car dans l'esprit de millions de personnes, à la place des chrétiens, de nouvelles valeurs d'autosatisfaction, d'épanouissement et d'anarchie entreront, de sorte que l'ordre relatif durera au plus deux ou trois générations. Et puis... Et puis le monde entier sera comme la France au début - le monde entier sans fondements, sans valeurs et sans identité plongera dans les guerres mondiales. Si Dieu est patient jusque-là et ne met pas fin à cette histoire, cela ne fera qu'empirer plus tard. L'humanité, qui s'est éloignée de la vérité pendant des générations après une période de chaos, devra construire un nouvel ordre. Cette fois, les gens qui ont appris des erreurs des générations précédentes créeront un système qui survivra le plus longtemps, et qui sera aussi le plus inhumain de tous, car il est basé sur la manipulation générale et les mensonges. Pour vivre en paix, les gens devront être convaincus qu'ils sont libres alors qu'en fait ils seront esclaves. Ils croiront qu'ils se gouvernent eux-mêmes, que le destin du monde dépend d'eux, alors qu'ils ne sont vraiment que des vers dénués de sens. Il faudra aussi prévoir du pain et des jeux, comme dans l'antiquité, pour que les gens soient persuadés que le bonheur réside dans les plaisirs, que l'amour ou la foi sont des sentiments que Dieu et Satan n'existent pas, donc les valeurs dépendent de la volonté du majorité. Le relativisme voulu par les "philosophes" finira par l'emporter, et en fait ce sera Sodome et Gomorrhe ordinaire.

- Que dit ton père aussi ? - se demanda le gouverneur, qui se mit à déambuler, absorbé par l'histoire du Père Guillaume. - Dieu permettra-t-il vraiment que cela se produise ?

- Malheureusement, je ne connais pas les limites de la colère de Dieu. dit calmement le père Guillaume. - S'il voulait se comporter comme dans l'Ancien Testament, Paris serait déjà inondé par un nouveau déluge, ou un incendie s'abattrait. Mais quelque chose me dit que cette fois ce sera différent... Pauvres nos petits-enfants et leurs petits-enfants. Ils ne méritaient pas des ancêtres tels que notre génération ...

- Merci encore de m'accueillir dans la charmante Trévoux. Au revoir, Gouverneur, veuillez dire au revoir à votre estimé époux et curé.



21 vues0 commentaire