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A la recherche du Pays des Merveilles, Histoires de Trevoux.

I

Trevoux


Il faisait extrêmement chaud ce jour-là, même pour un mois d’août. Le soleil brillait haut et il répandait une chaleur insupportable sur tout ce qui se trouvait sous le ciel, et il y avait un silence absolu, car malgré les récoltes, les paysans se reposaient maintenant chez eux.

Ce serait peut-être une bonne chose, pensa le chevalier solitaire, au moins personne ne fera attention à moi.

Le cavalier était encore un jeune homme, bien que deux longues cicatrices sur son visage mal rasé puisse le contredire. Son cheval, émacié après un long voyage, traînait lentement, ne sachant pas, bien sûr, que la maison tant désirée était à l'horizon, mais son maître tremblait de joie et d'excitation. Douze ans s’étaient écoulés depuis qu'il avait quitté sa belle et jeune épouse et ses deux petits enfants et était parti vers des terres lointaines à l'appel du Pape. Il n'avait jamais regretté cette décision, il savait que sa conscience ne l'aurait jamais laissé tranquille s'il était resté à la maison. Parfois, il pensait à ce qu’aurait pu être ce temps passer avec sa femme, à regarder ses enfants grandir et sa fortune augmenter. Mais il a fait un long voyage, qui s'est avéré être un pèlerinage à l'intérieur de lui-même. Il est parti comme un garçon, maintenant il revient comme un homme, comme un chevalier expérimenté et un noble éclairé qui connaît le monde.

Le cavalier contemplait chaque instant, chaque brin d'herbe qui poussait dans les sentiers qu'il connaissait, chaque arbre qu'il grimpait dans sa jeunesse et chaque champ qui appartenait à l'un de ses sujets. À un moment donné, ses yeux furent attirés par une calèche couverte se tenant dans un virage de la route. Il en avait une semblable, mais cette dernière était verte et celle-là était peinte en rouge. Instinctivement, il saisit la poignée de sa lourde épée attachée à son côté et poussa doucement le cheval avec ses jambes, ce qui leva ses oreilles et redressa son pas afin qu'il puisse immédiatement charger son adversaire à l’appel de son maître.

Le cavalier, sur le point de dégainer son épée, s'arrêta brusquement, sans voix. Une belle femme vêtue d'une robe verte aérée émergea de la voiture. Elle se tourna dans sa direction et commença à courir vers lui avec un large sourire. Le chevalier, qui reconnu immédiatement sa femme, sauta de son cheval aussitôt et couru à la rencontre de sa bien-aimée.

— Vous êtes enfin là, Etienne, murmura-t-elle en séchant ses larmes de bonheur.

- Je ne vous quitterai plus jamais, ma dame. Dit le chevalier en berçant sa femme contre sa poitrine.

Etienne de Thoire-Villars, après la mort prématurée de son père, était à la tête d'une riche famille noble, qui, grâce à la dot de sa femme, doubla sa fortune. C'est grâce à elle, Agnès de Villars, que la famille établi sa capitale à Trévoux.

Dans la calèche, où il était assis à côté de sa femme, il y avait aussi un beau garçon et une jeune fille en qui il reconnaissait les traits de sa femme.

- Permettez-moi de vous présenter vos enfants. Voici Etienne II, votre futur héritier et votre fille Elisabeth – Dit fièrement Agnès de sa voix en montrant ses enfants.

« Dites-moi, madame, comment avez-vous su pour mon arrivée ? demanda Etienne.

- Hier un marchand est venu de Macon et a fait passer le mot qu'il y avait un croisé, un chevalier de contrées lointaines, qui arrivait. J'ai pensé que ça devait être vous, mon seigneur. Je vous ai attendu pendant tant d'années, j'ai prié et pleuré. J'ai dit à Dieu que je n’avais plus de raison de vivre si vous ne reveniez pas. Et vous voilà, mon seigneur. Dit Agnès avec des larmes aux yeux, et Etienne pensa que ce n'étaient pas des larmes, mais des perles précieuses qui tombaient sur sa robe.

- Oui, je suis là. Pensa le chevalier, accablé de bonheur.

Trévoux était une petite ville à flanc de colline surplombant une large rivière, peuplée de marchands, d'artisans et surtout de pêcheurs. Plusieurs rues qui se croisent et une dizaine de maisons en pierre, c'est là qu'Etienne avait passé ses plus belles années. Une route étroite et tortueuse menait sur les hauteurs, où le château, siège de la famille de Thoire-Villars, surplombait les maisons de leurs sujets.

Ce jour-là, il n'y eut pas de fin à la danse et à l’amusement au château de Trévoux. Littéralement, tout le monde était invité à une grande fête à l'occasion du retour du Seigneur à la maison. Dans la cour, il y avait de grandes tables généreusement dressées, auxquelles s'asseyaient aussi les seigneurs : Etienne avec sa femme et sa mère. Après un certain temps, alors que la foule des invités était déjà bien repue, tous les regards se tournèrent vers le chevalier, attendant ses histoires d'autres pays.

- Vous voulez savoir où j'étais ? Et qu'ai-je fait tant d'années loin de chez moi ? Etienne commença, puis il y eut un silence total. - Je suis allé, comme beaucoup d'autres, à l'appel du Saint-Père Innocent III, reprendre la Terre Sainte des mains des infidèles. Cependant, nous ne sommes pas venus assez nombreux, car au lieu des 33 000 prévus, nous n'étions que 10 000. Ensuite, le doge vénitien a suggéré qu'au lieu des infidèles, nous l'aidions à faire face à ses ennemis privés. Je voulais alors revenir, car comment pourrais-je combattre mes frères chrétiens, ce n'était pas pour cela que j’étais parti, mais je ne voulais pas revenir tout de suite... Après quelques batailles avec les Hongrois et les Grecs, nous nous sommes finalement retrouvés avec les troupes face aux murs de Constantinople. Ce qui s'est passé après, je ne le sais que par les histoires, car dès le premier jour j'ai reçu ces coups d'épée et je suis tombé comme un homme mort. Dit Etienne en montrant ces deux cicatrices sur son visage.

- J'étais en convalescence depuis longtemps, je ne savais pas qui j'étais, ce que je faisais là-bas, et je n'avais pas non plus d'argent, car lorsque je suis tombé blessé, j'ai été dépouillé. J'ai été fait prisonnier de guerre et je serais mort sans faute, sans la vieille femme grecque qui m'a recueilli et m'a guéri. Au début, je l'aidais, j'ai commencé par la pêche, mais parce que je savais écrire et lire, j'ai été promu rapidement et j'ai commencé à travailler dans le palais impérial. Ma mémoire est revenue très lentement, au début je n'en avais que des flashs, je voyais un visage, maintenant je sais que c'était le tien - dit-il à sa femme - puis la rivière, les bâtiments, le château. A la fin je me suis souvenu de qui j'étais et d'où je venais, mais j'étais toujours un esclave et je ne pouvais pas m'échapper. Après quelques années, le vieil empereur mourut, et le nouvel empereur, voulant gagner ses sujets, libéra tous les captifs , alors j'ai pris l'argent que j'avais gagné et j'ai fait un long et fatiguant voyage pour rentrer chez moi. -

Etienne fini de parler, et les gens ont alors recommencé à jouer, à boire et à danser.

- Savez-vous ce que je veux faire de l'argent que j'ai rapporté ? dit-il en se tournant vers sa femme. `` Ici, sur cette colline, je veux construire une haute tour, exactement comme elle se dresse dans les murs de Constantinople. Octogonal et fait de deux types de pierre. Nous apporterons le jaune des Mont d’or et le blanc du nord. Qu'il défende la gloire de Dieu pour m'avoir permis de rentrer chez moi. Je ferai de notre Trévoux un petit Constantinople. -

* * *

Le temps dans une petite ville est beaucoup plus lent que dans la grande capitale d'un pays lointain, mais la construction de la nouvelle tour avançait de mois en mois. L'hiver arriva enfin et Etienne monta sur le trône pour juger ses sujets. Des paysans, des pêcheurs, des artisans et des marchands venaient à lui, chacun présentait son cas au seigneur et attendaient une juste sentence. Enfin, un marchand qui devait à la famille Thoire-Villar une grosse somme d'argent fut amené. Etienne écouta attentivement les accusations, se leva, fit des allers-retours et dit :

- J'ai du mal à comprendre pourquoi tu as dilapidé l'argent que tu as emprunté au lieu de l'investir dans la marchandise. Si vous aviez fait ce à quoi vous vous étiez engagé, non seulement vous pourriez maintenant rendre l'argent, mais vous gagneriez aussi tellement que vous n'auriez plus jamais à emprunter. As-tu une famille?

- Oui mon Seigneur. J'ai une femme, trois fils et une mère à charge. – Répondit marchand humblement.

- Tu sais que si toi, tes trois fils et ta mère travaillaient comme esclaves pour le restant de votre vie, cela ne paierais toujours pas cette dette ? demanda Etienne. "J'ai moi-même été en captivité et je sais ce que cela signifie de ne pas voir ses enfants grandir." Par conséquent, pars en homme libre. Je te pardonne de toutes tes dettes.

Ce soir-là, Agnès demanda à son mari :

« Êtes-vous sûr d'avoir fait ce qu'il fallait en pardonnant à ce marchand toutes ses dettes ? Nous pourrions utiliser un peu d'argent, ou au moins quelques mains supplémentaires pour travailler.

- J'ai bien fait. Je n'en doute pas. J'ai de l'argent, et la tour que je construis est pour remercier Dieu qui m'a amené sain et sauf à toi, ma chère, et non pour rappeler aux pauvres chrétiens le travail d'esclave.

- Tu es devenu un sage, mon cher. C'est Constantinople qui t'a tant changé ? Demanda Agnès avec un sourire.

* * *

L'hiver passa, et sur tous les étangs de la Dombes il y avait de forts gazouillis et des chants d'oiseaux divers, les jours devenaient de plus en plus longs, et le soleil commençait à donner une chaleur agréable à tout ce qui se trouvait sous le ciel. Un beau jour, Etienne décida d'aller faire une balade à cheval dans la campagne environnante. À un moment donné, un de ses sujets, qui l'accompagnait, cria très fort :

- Pour l'amour de Dieu! Il y a un pendu ! - et se précipita. En fait, une femme s'était pendue sur un large platane debout au bord d'un petit lac, et un pêcheur, probablement son mari, était agenouillé sous son cadavre, et pleurait fort.

- Qu'est-ce qui se passe ici? Qui es-tu? Demanda Etienne à l'homme qui s'était relevé, il s'inclina et se mit à raconter à travers ses larmes :

- Seigneur... J'avais une femme, six enfants, une belle-mère et un père à entretenir, et les dernières années ont été très dures pour nous. Pour survivre, j'ai dû vendre la vache et le mouton, et lorsque je n'avais plus rien, j'ai emprunté de l'argent au marchand pour acheter des céréales et semer le champ. Mais l'année dernière, il avait plu tout le printemps et la récolte a été de courte durée, et le marchand a exigé le remboursement. Il est venu hier en nous disant que si nous ne le remboursions pas, il enverrait des hommes armés contre nous et tuera les enfants. C'était trop pour ma femme. Ce matin, elle a quitté les oies et n'est jamais revenue. Je l'ai cherchée pendant longtemps et je l'ai finalement trouvée ici. De détresse, elle s'est pendue...

- Vous devez beaucoup au marchand ? demanda Etienne.

- Deux mesures de blé, monseigneur.

- C'est donc ça le prix de la vie de ta femme ? Marmonna le chevalier pour lui-même. - C'est pour toi et ta famille. - Dit-il en lançant aux pêcheurs une bourse pleine de pièces tintantes. - Dites-moi à quel marchand vous deviez ?

- Je le connais, mon seigneur. L’interrompit le domestique d'Etienne. Il habite pas loin d'ici.

- Allons-y. Ordonna le chevalier.